"Et si cet enfant n'est pas adopté, cela ne l'empêchera pas d'avoir des valeurs transmises par le personnel de son orphelinat ou sa famille d'accueil."
Cette réaction m'interpelle.
D'abord, parce qu'elle ne cible pas l'essentiel de ce que dit l'article. Dans la phrase " Pouvoir aimer, accompagner l'enfant dans son apprentissage, lui permettre de grandir au sein d'une famille et transmettre des valeurs que peut-être il n'aurait pas eues sans avoir été adopté.", tout pédopsychiatre vous dira que l'essentiel n'est pas la transmission des valeurs mais bien
"lui permettre de grandir au sein d'une famille".
Car ce qui manque à un enfant, dans un orphelinat, ce ne sont pas les valeurs. c'est la famille. C'est le fait d'être unique, d'être aimé par un (des) parent(s) aux yeux de qui il est la huitième merveille du monde (oui, je caricature mais l'idée c'est qu'il échappe à l'anonymat de l'orphelinat où il n'est qu'un enfant parmi d'autres et qu'il est enfin vu en tant qu'être unique tant désiré et attendu).
Et puis, adopter, ce n'est pas vouloir transmettre des valeurs. Pas seulement en tout cas, sinon on se contente d'être éducateur ou même enseignant, ou parrain.
Adopter, c'est vouloir avoir un enfant à soi. C'est un désir purement égoïste de fonder une famille. Je ne sais pas exactement d'où vient ce désir, du modèle idéal de bonheur que renvoie la société, du besoin de se sentir utile à quelqu'un ou de laisser une trace, de l'envie de reproduire ce qu'on a connu,... je suis sûre qu'il existe des théories là-dessus, en tout cas le désir de transmettre des choses n'est qu'une petite partie de la motivation.
C'est en cela qu'adopter ne doit pas obéir à une motivation humanitaire. Il faut avoir avant tout, viscéralement, l'envie d'avoir un enfant, et ce désir-là est foncièrement égoïste. Et pourtant, dans notre cas, il s'est teinté d'humanitaire parce qu'on a préféré adopter plutôt que se lancer dans des PMA à n'en plus finir, en se disant que notre désir égoïste d'enfant pouvait rencontrer le besoin de famille d'un enfant abandonné ; et il y a donc eu, en parallèle avec ce désir égoïste d'être parent, la sensation de faire quelque chose d'utile. E je suis sûre que beaucoup de parents adoptifs ont aussi, à un moment de leur parcours, cette réflexion que, en plus de satisfaire leur désir égoïste d'être parent, ils vont être utile à quelque chose. Mais ce ne doit surtout pas être la motivation principale (plutôt une excuse : oui, on est égoïste de vouloir un enfant, de l'arracher au monde qu'il connaît, mais on compense cet égoïsme en se disant qu'on fait quelque chose d'utile).
Si on adopte juste en considérant qu'on va sauver un enfant de la misère, alors ça voudrait dire que cet enfant nous est redevable pour toujours, qu'il a une dette envers nous. Alors qu'en réalité, c'est plutôt nous qui avons une dette envers lui et ses parents de naissance pour nous avoir permis d'être parents. Et puis, si on n'avait pas été là, il aurait eu une autre famille adoptante, il ne serait pas dans la misère, donc on ne l'a pas sauvé (notre fille nous le dit assez, qu'elle aurait préféré d'autres parents!)
Il y a cependant quelques cas où la motivation humanitaire peut l'emporter : lorsqu'une famille n'ayant pas de souci pour avoir des enfants naturellement décide d'ouvrer son foyer à un enfant handicapé, parfois lourdement, pour lui offrir une famille que, sans eux, il n'aura jamais.
Là, dans ce cas, c'est clairement l'humanitaire qui l'emporte (ou peut-être ne suis-je pas assez ouverte d'esprit pour imaginer un désir égoïste là-derrière, autre que le désir de se sentir utile à quelque chose) ; et je n'y vois aucun mal, bien au contraire, c'est vraiment une chance pour l'enfant.
Patricia, maman de deux grandes filles chocolat et miel (Ethiopie/Vietnam) de 17 et 13 ans, arrivées à 1 an